"La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l'intérieur de notre corps. Parfois, il se réveille, s'agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aargh! Et c'est lui qui nous suce le sang, de l'intérieur, qui boit toute l'eau de notre peau d'enfant. Mais que devient-il, quand on meurt?" (extrait de "Monde sans oiseaux" de Karin SERRES, Stock, illustration de Stefan ZSAITSITS)
"Obligé d'être le méchant dans l'histoire pour se rendre intéressant. C'est simple: il nous en veut. La haine d'un môme, c'est quelque chose de terrible. Y a pas pire. Et je sais de quoi je parle. Et puis voilà le gosse qui entre dans notre champ de vision. Culottes courtes, bottes de caoutchouc, pull à grosses côtes. Un véritable petit gars de ferme. Solide et brave. Il s'amuse à tracer des sillons dans la boue avec le talon de sa botte. A le guetter, deux contre un, lui, les mains dans les poches, les pieds dans ses bottes, j'ai un pincement au coeur. J'ai eu tort de construire ce piège. C'est pas avec ça que je vais m'attirer les bonnes grâces du rouquin. J'aurais pas dû écouter Juliette. Il me plaît ce gosse, moi. C'est sûr, il est pas venu me chercher en premier, il m'a jamais adressé la parole non plus, et alors? J'étais pas très liant non plus à son âge. Pas un rigolo, ah ça non! Faut pas pousser mémé dans les orties quand même. Mais y a Juliette, l'odeur de ses cheveux. Mon petit lot tiré au pigeon d'argile. Et je suis dans son camp. Sans elle, je me retenais plus. J'ouvrais la fenêtre et je hélais le gamin. J'ai du chocolat, des madeleines ou des Traou Mad si tu préfères. Y a qu'à demander, Louis. On a là de quoi tenir un siège. On va monter un camp, faire du feu et on se racontera des histoires après. On se barricadera dans la maison et on inventera des ennemis. Des ennemis mortels, invisibles mais bien réels, qu'on battra à plate couture et qu'on enfermera dans les placards, dans le cagibi sous l'escalier. Dans le congélateur si y a plus de place. On sera plus forts à trois. Toi, moi, Juliette. Forts ensemble. Viens, Louis, tu seras mon pote, un copain pour la vie. Croix de bois, croix de fer, si je mens, j'irai en enfer!" (extrait de "A l'angle du renard" de Fabienne JUHEL, Rouergue, j'en parle ici; source de la magnifique photo rawpleasures, via feralkid)
Encore une fois, je vais succomber à la facilité: deux extraits pour parler d'un recueil de nouvelles saisissant. "Trop de Bonheur" d'Alice MUNRO nous offre des portions de vie de femmes et tout est affaire de finesse, d'enlisement, de désespoir, de solitude, de désenchantement, très loin d'une forme moderne de bonheur. J'espère vous en reparler bientôt comme de quelques autres romans adultes lus ces derniers temps. Dans le lot, une nouvelle qui par bien des manières m'a touchée au cœur: "Jeu d'enfant". Une vision d'enfant, un malaise encouragé par une alliance d'enfants perdues et une vie avec dans son sillage un cauchemar non pas subi mais perpétré. *photographie de Diane ARBUS (je ne peux que vous encourager à entrer dans son monde délicat de la différence en suivant les portes ouvertes par Lily là) "Les enfants se servent de ce verbe "détester" pour exprimer diverses choses. Il peut signifier qu'ils sont effrayés. Non qu'ils se sentent en danger d'être agressés - comme cela m'arrivait, par exemple, quand de grands garçons à vélo s'amusaient à passer en trombe juste devant moi avec des hurlements terrifiants, alors que je marchais sur le trottoir. Ce n'est pas un danger physique que l'on redoute - ni que je redoutais dans le cas de Verna -, c'est plutôt je ne sais quel sortilège, quelle ténébreuse intention. Quand on est très jeune, c'est un sentiment que peuvent nous inspirer la façade de certaines maisons, ou le tronc d'un arbre, ou plus encore les caves moisies et les placards profonds." "L'ouvrage auquel elle faisait référence était né d'une thèse dont on m'avait déconseillé la rédaction. [...] Il s'intitulait Idiots et idoles [...] Ce que je tentais d'explorer, c'était l'attitude des membres de diverses cultures - on n'ose pas dire "primitives" pour les décrire - face aux personnes mentalement ou physiquement uniques. Les mots "débile", "handicapé", "arriéré" étant évidemment exclus et mis au rebut eux aussi, et probablement à juste titre - pas simplement en raison de ce qu'ils dénotent de sentiment de supériorité et de sécheresse de cœur, mais parce qu'ils ne décrivent pas vraiment la réalité. Ils laissent de côté une bonne part de ce qu'il y a de remarquable, voire d'admirable - ou en tout cas de particulièrement puissant -, chez ce genre de personnes. Et l'intérêt fut de découvrir l'existence d'une certaine mesure de vénération, aussi bien que de persécution, et de l'attribution - pas entièrement dénuée de fondement - de toute une gamme de capacités considérées comme sacrées, magiques, dangereuses ou précieuses." (issu de la nouvelle "Jeu d'enfant", extraite de "Trop de bonheur" d'Alice MUNRO)
Pas encore de livres des éditions Hélium billettés sur ce média! Pas possible... Il me faut absolument y remédier au plus vite parce oui, nous en avons tout de même un certain nombre dans nos étagères. Le mieux est de démarrer avec les vacances, non?! © Davide CALI et Benjamin CHAUD/ Hélium "Je n'ai pas fait mes devoirs parce que" de Davide CALI et illustré par Benjamin CHAUD vous propose ce petit jeu des réponses fabuleuses toutes droit sorties de l'imagination d'un enfant. L'imagination de l'auteur est très bien accompagnée par les dessins fourmillants. Les raisons de ce relâchement scolaire sont nombreux: le matériel a pu être abimé, perdu, mâchouillé mais aussi la famille aurait pu être extraordinaire. © Davide CALI et Benjamin CHAUD/ Hélium Des animaux, des extraterrestre, de la magie, du cirque mais aussi de l'aventure et du fantastique. Tout est fabuleux, délicieux. © Davide CALI et Benjamin CHAUD/ Hélium Et puis... je n'ai pas fait mes devoirs parce que... je suis en vacances!
"La légitimité du dégoût face à la difformité est un principe universel. Quand j'étais enfant, il paraissait acquis que c'était là une loi naturelle à laquelle il était juste de se plier... alors peu à peu, l’anomalie n'est plus une simple fraction d'une personnalité plus complexe, plus riche... l'anomalie est votre identité." (extrait de "Blast 1, grasse carcasse" de Manue LARCENET, Dargaud)
"Quand j'allais à l'école, au collège Saint-Bede, mon professeur Mme Scullery me disait que je ne devrais rien écrire tant que je n'aurais pas fait un plan, et préparé, organisé ce que je voulais écrire. Quelle absurdité! Est-ce que je prépare ma phrase avant de la dire? BIEN SÛR QUE NON! Est-ce qu'un oiseau prépare son chant avant de chanter? BIEN SÛR QUE NON! Il ouvre son bec et il CHANTE, JE VAIS DONC CHANTER, MOI AUSSI! Je voulais être sage, comme on dit, alors j'ai essayé." (extrait de "Je m'appelle Mina" de David ALMOND, Folio junior; source photographie)
"Comptines de relaxation" de Gilles DIEDERICHS, illustré par Nathalie CHOUX et interprété par Noémie BROSSET, Philippe WERCKER et Olivia HURTEBIZE est un livre audio que nous avons depuis quelques années. Quel dommage de l'avoir laissé dans les étagères sans en profiter au maximum. Il est destiné aux enfants de 2 à 4 ans, nous avions aimé l'écouter aux 3 ans du lutin, presque comme une histoire du soir racontée mais c'est encore plus maintenant, à l'aune de ses 6 ans qu'il est encore plus motivé, la connaissance corporelle aidant. © Gilles DIEDERICHS et Nathalie CHOUX/ Nathan Onze comptines amènent les enfants à se relaxer. C'est autant un livre à regarder pour les illustrations qu'une méthode auditive pour se détendre. A chaque fois, le relaxologue utilise un comportement animal pour inciter l'enfant à suivre quelques mouvements doux, de base, permettant de relâcher les muscles, de détendre les tensions. Une petite mise en situation de l'animal est suivie de la comptine. Pour relâcher les parties du corps: le gorille et le renard pour les jambes, le kangourou pour les hanches, le singe pour le visage, le tigre pour le haut du corps. Mais aussi pour s'initier à la respiration attentive, consciente, à même de détendre après l’effort, de préparer l'endormissement, de lâcher les tensions. © Gilles DIEDERICHS et Nathalie CHOUX/ Nathan Les illustrations de Nathalie CHOUX sont toutes douces et très colorées. Elles apportent le compagnon animal mais aussi des étapes de la gestuelle. Les voix sont toutes douces et les musiques empruntant aux folklore mondial sont aussi très plaisantes... rythmes africains, harpe et cornemuse celtiques, didgeridoo australien, impression indienne d'Amérique ou du continent asiatique et des bruits d'ambiance (oiseaux, vents, vagues et végétation). C'est un bon début pour démarrer les étirements, des bases de yoga et de la relaxation... de quoi aller vers la méditation (billet à suivre).
L'année 2014 nous a offert un magnifique dessin animé sur la fête des morts au Mexique "La légende de Manolo". Nous avions ainsi découvert une autre forme d'appréhender la vie et la mort. Ce livre illustré contribue aussi à faire connaître cette fête nationale. © Fabian NEGRIN / Seuil Jeunesse "Frida et Diego aux pays des squelettes" de Fabian NEGRIN est un album assez court comme une porte ouverte sur la culture mexicaine. Toute la journée, Frida prépare avec sa famille la fête des morts et le soir venu, elle aide à rendre festif les tombes de leurs proches. Diego, son amoureux, est là aussi, il a un petit crâne en sucre dans la bouche encore mais surtout, il est en train d'embrasser sa meilleure amie. Frida n'y tient plus. Folle de jalousie, elle court à sa poursuite et tombe après lui dans une tombe vide, pile vers le pays des squelettes. © Fabian NEGRIN / Seuil Jeunesse Un xoloitzcuintli, petit chien mexicain sans poil, la trouve en bas. Elle découvre une fête, des jeux, des courses, de squelettes bien animés. Diego a rencontré une dame squelette et est ravi. Mais le xolo veille. © Fabian NEGRIN / Seuil Jeunesse Alors bien-sûr il y a l'aventure de ses deux enfants qui ne sont que les représentations de deux peintres célèbres et amants, Frida KAHLO et Diego RIVERA. Une romance mais aussi une immense affection pour la culture mexicaine: les aliments de fêtes avec ces célèbres crânes de sucre (calavera de azucar) ou la sauce au chocolat (mole poblano), puis ce fameux chien que les amis aimaient dans la réalité. © Fabian NEGRIN / Seuil Jeunesse Je serais bien restée plus longtemps dans leur monde. Dommage l'album est court et sert juste de porte ouverte mais cela donne envie, grâce aux illustrations offrant aussi une belle part surréelle sous terre, de se plonger plus avant: des racines, des cactus et une nature luxuriante, une tresse sans fin. *peinture de Frida KAHLO
Il me fallait choisir deux livres pour l'anniversaire de jumelles, copines du lutin. Leur goût va énormément vers le rose et les princesses. Je voulais trouver des livres lumineux, ciblés filles mais pourtant pas gentillets. J'ai volontairement laissé de côté les belles robes et les couronnes pour aller sur le terrain de la féminité. © Charlotte GASTAUT/ Flammarion "Le grand voyage de Mademoiselle Prudence" de Charlotte GASTAUT est une parfaite proposition. Très peu de texte, où, d'ailleurs, seule l'intention est importante, et beaucoup d'ouvertures vers l'imaginaire. Prudence est une enfant échevelée, à la chambre en grand désordre (quoique). Elle y vit dans cette pièce, cela se voit, elle est investie, les dessins de princesses sont punaisés sur les murs, les livres éparpillés par terre. La fille est demandée, ses parents l'appellent, allez la "belette", range ta chambre et vient. Mais non, les paroles des adultes sont comme un brouhaha informe et elle nargue les réprimandes. Elle va partir, mais seule. © Charlotte GASTAUT/ Flammarion Oui, espiègle, elle traverse les pages, vole dans les airs, plonge dans un océan, parcours la jungle en liane. Les doubles pages sont autant d'univers colorés et merveilleux. La végétation est vivante, mystérieuse et accueillante, la faune est végétale. La nuit, les animaux, les oiseaux, les créatures mystérieuses, ouatés ou non... elle découvre tout, rencontre, galope. Elle, qui ne veut pas entendre la voix des parents, semble écouter la voix des songes et de la liberté. Elle ne veut pas ranger... ou si peut-être, après les rencontres, les rendez-vous pris pour d'autres aventures. © Charlotte GASTAUT/ Flammarion Les illustrations sont magnifiques et allient couleurs et enchevêtrements dans les rêves pour revenir à plus ordonné dans la vraie vie. Les découpages et transparence amènent aussi cette liberté de la vie et de l'imaginaire. Ce livre, où fourmillent les détails, offre aussi des clins d’œil, par exemple le livre jeunesse "La croûte" de Charlotte MOUNDLIC et illustré par Olivier TALLEC sur un sujet pas simple. Et pour mon second choix? Ce sera mon billet suivant... Et
J'ai profité de la fête colorée et joyeuse de Diwali pour lire autour de l'Inde. Nous l'avions fêtée ainsi il y a deux ans. Des albums et des livres un peu plus pointus, de quoi se plonger avec les enfants dans ce pays si riche de cultures. Les liens vous renvoient aux billets dédiés aux livres cités. *source peinture Kalighat, Dolls of India *** Les textes fondateurs: La fête de Diwali est liée à Rama, roi mythique, un des avatars de Vishnu. L'histoire de ce souverain est racontée dans l'épopée mythologique Ramayana. La version de Sanjay PATEL, "Ramayana, la divine ruse", est parfaite. Très stylisée, elle apporte une fraicheur et une lisibilité à cette mythologie. Un second grand récit marque la culture hindoue, il s'agit du plus long poème du monde. Notre version de cette oralité de la civilisation de l'Indus nous vient d'une enfant. "Le Mahabharata" raconté par Samhita ARNI est un peu brouillon mais il est très impressionnant. *** L'Inde offre une multitude d'évocations exotiques. "Radhika, la petite hindoue" de Chrystel PROUPUECH et illustré par Sabrinah propose de découvrir le pays à regard d'enfant en y mettant les mains. Rudyard KIPLING nous a proposé, lui, d'y découvrir la jungle et ses aventures, autour des animaux ou de Mowgli, l'enfant élevé par eux. Ses "Histoires comme ça" en offrent un bel exemple. *** La place des femmes est elle très ancrée dans la tradition. Les choses bougent doucement mais deux propositions peuvent nous faire vivre la situation d'une enfant en âge d'être mariée. A chaque fois, l'instruction est une voie vers l'émancipation. Le premier, un album pour les plus jeunes, celui d'une enfant qui s'interroge sur le mariage et sur la place d'une femme en Inde: "Rouge Bala" de Cécile ROUMIGUIERE et illustré par Justine BRAX. Le second, "Un sari couleur de boue" de Kashmira SHETH, un roman sur le passage de fille à femme, d'enfant à mariée et propose aussi cette descente aux enfers qu'est le veuvage féminin.
"L'épouvante l'émerveillement " de Béatrix BECK et illustré par Gaël DAVRINCHE est un court roman d'une fraîcheur mordante. Nous suivons les dialogues d'une enfant entre ses 2 mois et ses 13 ans, ceux intérieurs et ceux qu'elle, Paméla, aura avec sa mère Palmyre et sa grand-mère maternelle Paloma. De cette voix intérieure puis pleine de questions se délie l'enfance. Les premiers mois de vie avec cette prise de conscience, ce soi corps, besoins, mère à soi comme partie intégrante, deviennent des maîtrises, des développements... mains, paroles. Et puis il y a ce rapport au monde, à soi et aux autres. Paméla se questionne sur la vie et la mort. Le contexte de la guerre d'Algérie, les bombes, enfant... La mort comme disparition mais aussi l'état de squelette, les os comme sujet de discussions, de réflexions. "Dessine des gens, s'il te plait" "Non, ça va pas. Tu leur fais des nez trop petits. Tu vois, il faut leur faire des nez comme ça. - Tu leur fais des nez qui prennent toute la figure. - Oui. - Pourquoi? - Parce que c'est des dessins. - Tu pourrais aussi bien faire des dessins avec des petits nez. - Je peux faire grand, alors je fais grand. - Mais pourquoi des grands nez plutôt que des grands yeux ou des grandes oreilles, par exemple? - Si on fait des grands yeux, il reste pas assez de place pour les nez. - Tu n'aimes pas les petits nez? - Non. Les monsieurs en os, ils ont plus de nez." *Gaël DAVRINCHE (texte de béatrix BECK/ Le chemin de fer) C'est aussi la vie, les pensées construites et destructrices (l'antisémitisme), la non-maîtrise des enfants sur leurs peurs et angoisse ou la religion. Les questions sont pertinentes, les réponses intelligentes et les rebondissements de la réflexion de l'enfant offre une vivacité salvatrice. L'amour filial se lit aussi dans tous ses dialogues de femme/fille. Ces relations de manque, d'envie, de positionnement offrent là de très beaux échanges, de la matrice vers la matrice aussi. Les aquarelles de Gaël DAVRINCHE apportent une touche onirique, entre dessins et gribouillages enfantins et illustrations déjantées du texte avec une vision d'adulte. Le style de Béatrix BECK est extrêmement vivant et ce roman est une entrée dans la tête d'une enfant mais bien plus dans les fulgurances des premiers questionnements, l'intuition et le rôle des parents, des "répondants". Indispensable!
© Vincent CUVELLIER et Charles DUTERTRE/ Gallimard jeunesse J'en avais entendu du bien et je confirme, ce petit album est incroyable. Et puis maintenant qu'il existe aussi en format souple et peu cher, plus aucune raison de ne pas le regarder de près. © Vincent CUVELLIER et Charles DUTERTRE/ Gallimard jeunesse "La première fois que je suis née" de Vincent CUVELLIER et illustré par Charles DUTERTRE nous parle de ce bébé, cette petite fille au grain de beauté. Page après page, elle nous raconte ses premières fois. Celles de la petite enfance: le premier câlin parental, le premier bain, le premier pas. "Papa disait plein de mots, et au milieu de ces mots se cachait mon prénom." Ce sont les étapes de vie qui apparaissent. Nous découvrons Charlotte espiègle, joueuse, princesse, rêveuse. "La première fois que j'ai vu la mer, elle a dit: "Comme elle est grande, comme elle est belle, comme elle a les yeux bleus." © Vincent CUVELLIER et Charles DUTERTRE/ Gallimard jeunesse Mais au fil de l'album elle grandit et offre ses premiers pas dans la vie, seule. Ses émois, ses déceptions, ses deuils et son avenir. "La première fois que mon grand-père est mort, maman m'a prise dans ses bras pour me consoler. Mais, en vrai, c'est moi qui la prenais dans mes bras pour la consoler." © Vincent CUVELLIER et Charles DUTERTRE/ Gallimard jeunesse Le texte de Vincent CUVELLIER pourrait sembler simple mais il n'en est rien. Pas à pas, il raisonne, joue la poésie. Les impressions sont belles et offrent une atmosphère. Le choix des premières fois décrit l'enfance mais aussi des détails permettant l'identification. Les illustrations de Charles DUTERTRE sont simples, très claires mais jouent bien sur l'humour.
"Dans sa tête" de Rémi COURGEON vaut le détour: c'est une merveille! Ne vous fiez pas aux couleurs froides de la couverture et de quelques pages à l'intérieur, le propos est plein d'espoir et de chaleur. © Rémi COURGEON/JBZ et Cie Pik est un enfant comme les autres, il va à l'école et grandit. Dans sa tête son cerveau ne s'arrête pas, le jour comme la nuit. Et dans sa tête, un bonhomme travaille dans une petite pièce au fond du cerveau. Il ressent par procuration et engrange tous les éléments de vie de Pik, ce qu'il voit, entend, sent. Le petit homme écrit tout le jour et, le soir au coucher de Pik, il appuie sur "play": il a inventé tous les rêves de Pik en reprenant son vécu... des rêves où Pik vole, devient aventurier, et des cauchemars où Pik est mangé par ses parents. Les réveils en sursaut peuvent alors être très perturbants. L'intervention d'un docteur va aider Pik à trouver la solution pour que les rêves soient les plus beaux possibles. © Rémi COURGEON/JBZ et Cie Ce livre est fort et pertinent. Il fait la part belle aux rêves, ce sont les pages colorées. Des rêves étranges, bizarres, flous mais "constituants" et partie intégrante de l'acte de grandir. Mais surtout par le biais de ces expressions enfantines, il reprend l'enfance, ses peurs et son élan vital. Les illustrations apportent aussi cette immersion dans le garçon, nous sommes dans sa bouche quand il parle, dans sa tête, dans ses songes. Le propos est aussi très ancré pour nos bambins modernes: la machine à rêves du bonhomme est un ordinateur. © Rémi COURGEON/JBZ et Cie L'intervention d'un spécialiste des enfants (aux tests de Rorschach sur le mur) amène vers cette part de mystère de l'enfance, cette part que l'on aime "encadrer" nous adultes/parents. Mais ici la solution de Pik pour diminuer les cauchemars est créative, personnelle, presque intime et pérenne, et même un adulte préparé ne peut pas tout comprendre. Cette idée de dynamique positive, constructive, pleine d'humour et d'histoires en perspectives le suivra d'enfant à adolescent. Ce serait une autobiographie... et cela parait évident! Je découvre cet auteur, Rémi COURGEON mais une chose est sûr, je ne le suivrais et en premier point voici son blog. Merci aux éditions Hugo et Cie, département JBZ et Cie.
J'en ai des tonnes, des billets commencés et pas terminés. Mais il me faudra, cette année 2015, vous les fournir plus méthodiquement, sinon à quoi bon continuer à vouloir partager si certaines prises de parole écrites restent muettes. Je laisserais peut-être encore les prises de parole personnelles, mes humeurs, justement, au placard, au brouillon, je ne sais plus si c'est ce que j'attends de ce média mais parler des référents, des ouvrages qui ouvrent la voix, qui portent l'esprit critique, il faut que je les publie. Et tant pis si mon billet n'a pas la teneur, la rigueur de mes ambitions. © Sophie LAMOUREUX, Loïc LE GALL et Clément CHASSAGNARD/ Gallimard jeunesse Ce livre est impressionnant. Il donnera aux adolescents toutes les clefs pour comprendre l'actualité. Et autant dire que c'est fondamental. Se questionner, se positionner, se renseigner, ne pas rester coi. "Pour on contre: l'actualité en débat" de Sophie LAMOUREUX, illustré par Loïc LE GALL et Clément CHASSAGNARD est en effet très complet. Il aborde une quarantaine de débats sous les thèmes d'éthique, d’institutions, d'environnement, de culture, d'immigration, de laïcité, d'économie. A chaque fois les notions sont définies, le traitement dans les médias présenté, la position des partis politiques indiquée, de nombreuses références et indications d'appartenance sont proposées avant de plonger plus directement dans les arguments pour ou contre, mis sur un plan d'égalité et au code couleur bien clair. © Sophie LAMOUREUX, Loïc LE GALL et Clément CHASSAGNARD/ Gallimard jeunesse Pour chaque débat, la précision des termes apporte pertinence et esprit critique. Les droits de l'homme, les droits de l'individu. La laïcité, le laïcisme. L'assimilation et le multiculturalisme. La Recherche et le principe de précaution. ... Le plus est aussi dans les encadrés où sont notés rapidement les chiffres, les affaires connues, les personnages importants ou les débats internationaux. Il manquerait une contextualisation mais pour le reste, les arguments permettent de se faire un opinion argumentée: en vrac, pour ou contre le libre-échange, la discrimination positive, l'euthanasie, les impôts, la limitation de la liberté d'expression, le non-cumul des mandats, le nucléaire, la remise de peine, le clonage etc... © Sophie LAMOUREUX, Loïc LE GALL et Clément CHASSAGNARD/ Gallimard jeunesse Ce livre donnera des pistes pour mieux lire les informations données par les médias, pour les décrypter, les digérer, rester critique. Avec bien-sûr le merveilleux luxe de vivre dans un pays de livre expression!!!!!
"En arabe, il y a un mot pour désigner le fait de discuter la nuit: samar. Lorsque la nuit est tombée, c'est l'heure des histoires, de la lecture de récits de voyages. En assemblée, autour du calife, d'un poète, d'un causeur, on écoute les contes des Mille et une nuits, qui mettent en scène les frasques de personnages historiques tels que le calife Harun al-Rashid ou racontent les péripéties de héros légendaires comme Sindbad le marin ou Aladin." (extrait de "Le Grand Livre des Sciences et Inventions Arabes" d'Anne BLANCHARD, Ahmed DJEBBAR et illustré par Emmanuel CERISIER, Bayard jeunesse; illustration d'Edmund DULAC)
Très bonne nouvelle, certains albums de Rémi COURGEON sont republiés sont un format tout petit, souple et peu onéreux. Il ne faut pas s'en priver. Dans cette collection "mini-albums" de Mango jeunesse, il y a pour l'instant trois de ses livres. Je commencerais pas "Invisible mais vrai" mais dans tous, la pâte de l'auteur/illustrateur est là, une très forte sensibilité. © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Émile est le fils d'une professeur de piano. Mais il ne pense qu'à devenir "l'homme invisible", héros littéraire, et n'a que faire des espoirs de sa mère. Un jour, l'accordeur de piano est appelé. Émile rencontre alors Monsieur Fressinet, aveugle de naissance. Pour l'un, le garçon est invisible, pour l'autre, les couleurs le sont. Commence une amitié et une découverte des sens. © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Je peux toujours faire confiance en l'auteur pour nous parler de thèmes pourtant peu simples. Ici l'amitié nait entre l'enfant et l'adulte grâce à une déficience visuelle mais aussi à un rêve d'enfant. Mais outre la découverte des moyens pour appréhender la vie chez les aveugles, braille ou auditeur, mais aussi l'utilisation extrême des autres sens, c'est le partage d'une émotion qui rend le livre vivifiant. Les couleurs ne sont rien pour Mr Fressinet, rien comme la vue pour des genoux. Le garçon cherche alors des moments, des situations, des expériences sensitives à même d'appréhender les couleurs. Et son ami lui répond et partage sa manière de vivre la couleur, en musique. La notion d'invisibilité, de transparence mais aussi de visibilité de phénomènes juste sensibles est aussi très incarnée. © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Rémi COURGEON marque encore là un livre dans la droite file des rêves de garçon tout en finesse et délicatesse... et c'est encore plus flagrant avec "La colo", je vous en parle bientôt, en attendant n'hésitez pas à lire ses autres propositions sans oublier "Brindille" plus féminin pépite 2012 du Salon du livre jeunesse, dont je vous parlerais, aussi, plus tard.
« Scritch scratch dip clapote ! » de Kitty CROWTHER revient périodiquement comme livre du soir. Avec quel plaisir pour moi. Je ne peux que confirmer, encore et encore, mon admiration pour cette auteure/illustratrice. En fait, ce fut le premier en ma possession, celui qui m’a emmené dans l’univers de cette femme. Jérôme est une petite grenouille que l’on retrouve à l’heure du coucher. Les rituels se suivent : un passage dans la salle de bain, une lecture de papa, un câlin avec maman et puis cette solitude de l’enfant (enfin la grenouille) dans le noir juste avant le sommeil. Cette peur du noir est amplifiée par les bruits de la nuit et tous les monstres ou méchants qui peuvent hanter les rêves de grenouillet Jérôme. J’adore ce petit livre abimé par les lectures nombreuses (et dire que le lutin n’a que 3 ans !). L’atmosphère de cette maison les pieds dans l’eau, les tableaux botaniques et entomologiques sur les murs, les murs sombres et les tissus de pyjamas. Mais surtout cette petite histoire, si douce, offrant à l’enfant une vraie mise en image de ce moment juste après la lecture du soir, ce moment de solitude (même si les parents sont dans la pièce d’â côté), cette envie irrépressible de dormir entre maman et papa, à l’abri des sensations inconnues de la nuit. J’aime particulièrement aussi cet agacement du père, avant de trouver une solution pour dormir et aussi apprendre à son enfant à prendre confiance en lui, à affronter aussi l’inconnu… pour leur plus grand plaisir ! Cela aussi permet de reprendre les monstres des cauchemars : monstre d’eau douce avec toute l’imagination possible ou encore squelette des marais. Ce squelette, juste amas d’os, qui fait si peur. Autant vous dire que notre petit d’homme connait de nombreux passages presque par cœur. La sensibilité de Kitty CROWTHER est toujours présente, le sujet même conventionnel, offre une lecture différente, presque sensitive et ses crayonnés, marques de fabriques, me font à chaque fois rêver. N’hésitez pas à vous avancer dans son univers, fabuleux et jamais mièvre.
"Rouge Bala" de Cécile ROUMIGUIERE et illustré par Justine BRAX offre une porte ouverte vers cette Inde aux traditions millénaires et où les petites filles sont mariées bien tôt. © Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse Bala a douze ans. Cet été, elle est seule à jouer autour de la rivière, sa grande sœur, Lali, est partie avec son mari avant la mousson. Elle avait treize ans. La cérémonie était magnifique, les plats doucement épicés. Lali portait un sari finement brodé, le point rouge bien rond sur le front. Alors pourquoi Bala est-elle si nostalgique? Parce que si le prince charmant arrivait maintenant par bateau, là, juste devant elle, elle ne serait pas quoi lui dire sans sa sœur? Un peu. Les jeux d'enfants n'ont pas la même saveur. Et puis, elle commence à prendre quelques formes de femme. Et puis d'ici un an, elle sera mariée par son père. © Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse Et puis il y a cette rencontre inattendue. Une femme sur un bateau. Pas un prince charmant, non, une femme qui fuit son mari. Bala découvre une faille possible dans la relation maritale, celle de l'infertilité. C'est décidé! Bala veut plus de liberté. Choisir son mari, continuer l'école. Mais que vont dire ses parents? Et puis d'autres angoisses naissent pour sa sœur: est-elle heureuse? Cécile ROUMIGUIERE apporte dans chacun de ses textes une profondeur. Dans cet album, l'enfant est aux prises avec son corps, ce mystère de l'avenir. Mais c'est aussi presque une année pour changer de vie, d'une petite fille à la femme subissant les coutumes. Le sujet est doucement abordé, les portes sont juste entr'ouvertes vers un avenir féminin plus choisi, ici ou ailleurs, grâce aussi à l'éducation. © Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse Les illustrations de Justine BRAX sont colorées, aux aplats avec des motifs comme sur du tissus. Elle apporte aussi dans cet album une impression d'étouffement dans ce paysage si grand. Une immensité subie ou une prise de liberté comme un enfant. N'hésitez pas à lire le très beau billet de Lily ici.
"Avant, je passai des heures à travailler dans l'atelier, et puis je sortais marcher, à la tombée du jour quand toutes les lumières s'allument et que la nuit n'est pas encore là. C'était l'heure que je préférais. Ou parfois plus tard, surtout quand la pluie faisait briller les trottoirs et que les fenêtres s'éclairaient en grands rectangles jaunes, avec cet exhibitionnisme tranquille des gens des grandes villes. Après les longues heures à travailler dans le corps à corps avec la sculpture, à lutter avec la matière récalcitrante, à tâtonner laborieusement dans l'attente que quelque chose s’impose enfin, je m'exaltais de voir la vie autour de moi, ravie de son indifférence. Je captais les lumières, les mouvements, les bruits, aux aguets de tout après le grand silence de l'atelier." (extrait de "La silencieuse" d'Ariane SCHREDER, Philippe Rey; source peinture de John Atkinson GRIMSHAW)
Nous manipulons ce livre depuis plus d'un an. En effet, "Le feuilleton d'Hermès" de Murielle SZAC et illustré par DUVIVIER Jean-Manuel est plus qu'une simple présentation. © Murielle SZAC et Jean-Manuel DUVIVIER/ Bayard jeunesse Au premier abord, 100 épisodes impliquent un fourmillement, des personnages à n'en plus finir et des histoires qui se suivent sans forcément impliquer les mêmes héros. Oui. Au début, je trouvais que le récit tirait en longueur. Au début seulement. Le parti-pris n'est pas de proposer un livre jeunesse simplifié mais bien une longue version de manière presque exhaustive. Murielle SZAC propose ainsi par "feuilleton", ici Hermès, mais un autre Thésée et encore un en préparation, Ulysse, les différents cycles épiques de la mythologie grecque. © Murielle SZAC et Jean-Manuel DUVIVIER/ Bayard jeunesse Avec Hermès, nous assistons à la création du monde. Hermès fait partie des douze dieux résidant sur l'Olympe. Il est facétieux et curieux. Son enseignement auprès de ses trois nourrices lui permettent de voir le passé, le présent et l'avenir. Il peux ainsi découvrir ce qui s'est passé avant lui (Ouranos et Gaïa, les naissances fantastiques des Titans, des dieux, des hommes) et ce qui se passera pour sa descendance (ses fils feront équipe avec Jason). © Murielle SZAC et Jean-Manuel DUVIVIER/ Bayard jeunesse Nous découvrons peu à peu certains épisodes des mythes grecs: Prométhée et sa foi en l'homme, persécuté par Zeus, Perséphone capturée et détenue aux Enfers, Orphée perdant son amoureuse, Le duel entre Bellérophon montant Pégase contre la Chimère, Persée tuant Méduse. © Murielle SZAC et Jean-Manuel DUVIVIER/ Bayard jeunesse Mais encore plus. Ce sont les défauts et les emportements des dieux que nous découvrons: leurs amoures, leur jalousie, leurs emportements mais aussi leurs soutiens. Ils jouent avec les hommes, changent les destins et modifient le monde (certaines victimes pâtissent et deviennent faune, flore ou étoiles). Avec ce premier opus, Murielle SZAC offre la génèse de ce monde. La mythologie grecque se découvre sous la forme d'un roman, décrit par Hermès le fil conducteur mais aussi comme des prises de parole avec à chaque début d'épisode un résumé du précédent. C'est magnifique, imposant et servi par les illustrations de Jean-Manuel DUVIVIER très stylisées, souvent géométriques permettant d'évoquer bien plus que de décrire. Un peu désappointée au départ, je dois avouer qu'au fil des pages, je tombe de plus en plus sous le charme des formes inspirées. © Murielle SZAC et Jean-Manuel DUVIVIER/ Bayard jeunesse Parce qu'au final, ce livre doit se savourer. C'est une épopée qui se raconte au coin du feu, une aventure chaque soir, déclamée ou théâtralisée par un conteur. Je vous invite à lire cet avis argumenté. *** Et puis oui, nous nous en servons comme un support de culture mais aussi de débats et d'apprentissage (cf premier lieu en haut du texte). En suivant en cela le pédagogue Serge BOIMARE, nous utilisons les épisodes comme d'un moteur de travail différent (en français mais aussi en géographie). Je m'aide en cela du magnifique travail d'un professeur, Bruce DEMAUGE-BOST. Mais surtout comme un appel aux réflexions sur nos émotions et nos conflits intérieurs: en suivant les caprices décrits, les tueries fantastiques, les trahisons, les orgueils et mauvaises fois, l'enfant serait à même de trouver des références culturelles et langagières pour mettre des mots sur leurs maux.
"Pendant toutes ces années, j'ai repensé à son regard, à la façon dont il avait changé. Et comme il allait lui-même provoquer des changements considérables, je me suis dit que, peut-être, des capacités refoulées se reflétaient sur son visage. Il était en passe de devenir ce qu'il avait sans doute toujours été. Il avait simplement fallu qu'il use toutes les couches superficielles de son être pour laisser voir le fond de sa nature. J'ai observé le phénomène sur le visage d'autres hommes. Des hommes sans feu ni lieu, vautrés sur le trottoir, devant des bars, des jardins publics, des dépôts d'autobus, en train de faire la queue devant la porte d’institutions charitables où échapper à la longueur de l'hiver. Sur leurs visages - beaucoup étaient beaux, mais ravagés - j'ai vu les vestiges de ce qu'ils avaient failli être, sans y parvenir, avant de devenir ce qu'ils étaient. C'est une théorie sur la destinée et le caractère qui ne me plaît pas et à laquelle je ne veux pas adhérer. Mais elle est là, en moi, comme un impitoyable récit en sous-main. De fait, je ne croise jamais un homme ravagé sans me dire: Voilà mon père, mon père est cet homme-là. Je l'ai connu dans le temps." (extrait de "Canada", de Richard FORD, photographie d'Edward STEICHEN, issue de l'exposition "Bitter years")
De petits livres paraissent intéressants si nous aimons déjà la matière. Par exemple "C'est mathématique!" de Carina LOUART, Florence PINAUD et illustré par Jochen GERNER semble destinés aux amateurs de sciences, et juste à ceux là. Ce serait dommage. © Carina LOUART, Florence PINAUD et Jochen GERNER/ Actes sud junior Ce livre propose une vision éclectique et pleine de fantaisie. Au fil des pages, ce sera les origines de(s) mathématique(s), les premières matières à calcul, la géographie évolutive ou les inventions en découlant. Le dénombrement en s'aidant de notre corps (doigts, phalanges, mains ou corps entier), en notant la quantité par des nœuds, les cailloux et parler de plus grandes quantités avec les premiers chiffres, indiens (les nôtres), les latins ou les égyptiens (fleur, têtard, anse de panier). Les premiers calculs apparaissent avec quelques révolutions que sont le zéro, le négatif, la fraction ou l'égalité, les unités de mesure. © Carina LOUART, Florence PINAUD et Jochen GERNER/ Actes sud junior Puis les mathématiques interviennent dans la construction, le commerce, la découverte du monde, la météorologie, la compréhension de la société avec les statistiques, la communication ou internet. Les mathématiques comme une magie avec les présences dans la nature de l'infini, du nombre pi, des fractales et encore le langage mathématique. Comme la naissance de la terre, de la vie sur terre, de l'homme ou de l'écriture, celle des mathématiques est une notion importante à comprendre car grâce à elle, c'est l'homme et son évolution que nous comprenons. Elle fait partie, en effet, des grandes leçons présentées aux enfants de 6 à 9 ans par la pédagogie alternative Montessori. Je les entrevois là avec mon fils au fur et à mesure. Ce livre permet de découvrir une évolution de notre vue du monde, chaque étape est importante, donne accès à une autre et provient d'un peuple différent. Ce qui est aussi magnifique, c'est d'entrevoir en quoi la naissance du zéro est importante, le concept donnant accès à la notation des grandes quantités; que le théorème de Pythagore permet l'urbanisation avec les murs enfin droits; la géolocalisation ou les angles pour découvrir l'espace, de trouver la bonne adresse en voiture ou même permettre à nos avions d'arriver en moins de temps à leur destination (pas un angle droit vers l'autre ville). © Carina LOUART, Florence PINAUD et Jochen GERNER/ Actes sud junior Ce livre est imposant en découvertes mais il peut se picorer facilement par chapitre et par notion. A chaque fois, les illustrations de Jochen GERNER donnent beaucoup d'humour et nous décomplexent vite. Puis des petites mises en pratique sont proposées aux lecteurs, permettant un lectorat très large, d'un enfant commençant à découvrir les premiers calculs à un adolescent ou un adulte intéressé. Les plus experts y trouveront quelques pistes de merveilles supplémentaires.
"La beauté et le tragique agissent sur ceux qui les rencontrent comme de la paille de fer aux deux extrémités d'un aimant, celle qui attire et celle qui repousse. Ils créent aussitôt un champ de forces qui détermine l’orientation de toute chose. Les belles personnes [...] n'ont pas la possibilité de voir les choses telles qu'elles sont. Pour cela, il faut être gris, caché et vigilant. C'est la même chose avec les gens qui ont vécu une tragédie. Ce qu'il y a autour d'eux ressemble à ces auréoles dont les peintres de retables coiffent leurs saints comme d'une cloche à plongeur. Une bulle, qui isole complètement celui qui la porte. Et de son côté, qu'est-ce que le malheureux peut voir au travers de son halo de gloire si ce n'est un monde irrémédiablement déformé?" (extrait de "L'envol du héron" de Katharina HAGENA, Anne Carrière édition, source de l'image)
" "Ulufanua est une île imaginaire, et son nom est un très beau mot des Samoa qui désigne les cimes d'une forêt. Ulu veut dire "feuilles" ou "cheveux", et fanua "terre". Le sol, ou le pays des feuilles. "Ulufanua, the isle of the sea", Ulunfanua l'île de la mer, lisez ce vers en respectant la longueur des syllabes et son rythme apparaît. Les "u" sont à prononcer comme nos doubles "oo". Avez-vous jamais entendu plus joli mot?" Je tiens à ce que, dans mes histoires, le lecteur en vienne à découvrir l'esprit des mers du Sud, c'est ça qui m'intéresse. Je doute cependant que le public soit prêt pour cela, peut-être n'attend-il simplement que de l'exotisme." (extrait de "Moi, Stevenson, l'aventure de ma vie", de Jean RENE dont je parle là, illustration de Newell Convers Wyeth, couverture de "L'île au trésor", l'île la plus connue de RLS)
Panthère de Brecht Evens est la chose la plus effrayante qui me soit tombée entre les mains depuis bien longtemps. Une petite fille, Christine, vient de perdre son chat - euthanasié chez le vétérinaire. Toute la maison fleure la perte et l'abandon...
Vous vous souvenez d’Émile? Ce garçon taciturne qui ne sait pas se faire d'amis. Bah, justement, aujourd'hui il invite une copine. Il prépare sa chambre pour son arrivée. © Vincent CUVELLIER et Ronan BADEL/ Gallimard jeunesse Sa mère est ravie: enfin son fils a des amis. Elle est de ton école? Elle vient avec ses parents? Émile répond évasivement aux questions de sa mère. Elle est bien curieuse d'ailleurs... comme toutes les mamans qui s'informent à la première invitation. Oui mais Émile n'attend pas n'importe qui et pas pour faire n'importe quoi. © Vincent CUVELLIER et Ronan BADEL/ Gallimard jeunesse "- Hi hi! - Ha ha! - Ça va, les enf... euh... ça va?... vous ne faites pas de bêtises au moins..." © Vincent CUVELLIER et Ronan BADEL/ Gallimard jeunesse Le duo CUVELLIER/ BADEL revient ici avec autant d'humour et de dérision. Émile est toujours aussi attachant dans sa différence et ce court album donne encore à penser. Superbe!
Je commence par le tome 3 des "Aventuriers du très très loin". Bon, pas de souci. J'avais beaucoup apprécié écouter Apolline nous parler de ses explorations, là l'auteur et illustrateur Chris RIDDELL s'accompagne de l'auteur Paul STEWART pour nous offrir une série de romans plus longs que les albums/bandes dessinées mais accessibles comme premiers romans. © Paul STEWART et Chris RIDDEL/ Milan jeunesse Hugo est un orphelin. Dans le Grand Nord, un couple d'éleveur de rennes et de fabricants de fromage le trouve et récupère aussi le moyen de locomotion, un traineau montgolfière, du bébé et de ses parents, morts sûrement de coups de pattes d'ours polaires. Hugo grandit sans rien savoir et découvre un jour le traineau et sa tragique histoire. Sur le cadran de cet engin volant, une direction "chez moi" l'interpelle, il part retrouver ses origines. Il arrive alors presque au Sud, au square des Lucioles et rencontre les amis et la famille de ses parents. Il découvre aussi l'Institut tenu par Elliot De Mille. Un journal en sort, par trimestre, et apporte son lot de ragots à même de déloger les commerçants du quartier, pile les nouveaux amis d'Hugo. Le roman présente les efforts d'Hugo pour défendre ses proches. Et vous pouvez suivre l'histoire d'"Hugo Lachance" avant ou après celles de Fergus Bonheur ou Zoé Zéphyr. © Paul STEWART et Chris RIDDEL/ Milan jeunesse Mais l'intérêt de ce livre est beaucoup plus dans sa forme. Chaque chapitre est la présentation d'un personnage dans ce qu'il a d'aventurier, d'original: une vraie histoire en soi. Nous découvrons des pirates, des sirènes, des explorateurs, des planteurs de thés, des chats et des géants des neiges. Et au fil de ces multiples histoires, ce sont les fils du fantastique qui se déroulent avec des tapis volants, des monstres, des boissons magiques informant du futur ou liées à nos émotions. Les détails sont délicieux, plein d'humour et le trait de Chris RIDDELL n'y est pas pour rien: les personnages sont stylisés, presque caricaturés et les machines, artisanats, architectures sont tous rocambolesques et inventifs. © Paul STEWART et Chris RIDDEL/ Milan jeunesse Encore plus, au fur et à mesure de la lecture des indices nous mettent sur la voie, à nous de les déchiffrer ou de se laisser aller pour revenir après feuilleter les croquis des pages précédentes. C'est drôle, pétillant, magique et plein de petites pépites!!! Et en plus le livre est luxueux (enfin tout comme avec cette couverture cartonnée à la manière des livres de cuir)!
« La visite de la petite mort » de Kitty CROWTHER La petite mort est une enfant, elle va chercher les gens pour leur dernier voyage. Tous ses actes sont mal vécus par quiproquo. Les peurs européennes ont la vie dure : l’enfer, le froid, la solitude, l’angoisse. Elle ne comprend pas pourtant, elle fait de son mieux pour que ce passage dans le monde des morts soit le plus doux possible. Voilà qu’un jour une enfant lui sourit, elle est malade. Est-ce que cela change la donne ? En tous cas, ce livre a la merveilleuse idée de détruire le mythe et de nous offrir une lecture du passage bien plus simple, moins niaise aussi. Kitty CROWTHER offre aussi sous ses traits une mort bien intrigante, avec sa faux oui, mais aussi accompagnée de hiboux et de masques symboliques de la mort venant de pays d’ailleurs, de quoi nous interpeller aussi sur les autres mythes de la vie et de la mort. La petite mort m’a fait penser au personnage de « sans-visage », Kaonashi, dans « Le voyage de Chihiro » de Hayao Miyazaki. Personnage que j’avais adoré à bien des égards. Pourtant ce dieu, Kami, errant, est le Japon même nous dit son créateur. Moi j’y voyais un être pris entre deux mondes, ne trouvant pas sa place dans le monde éthéré et cherchant l’essence des humains incarnés, en vie. *source du sans-visage, lien à lire sur ce superbe film d’animation.
Je suis toujours très friande des livres permettant de nous mettre sur la voie de la philosophie, surtout quand ils ont pour cœur de cible les enfants. J'aime l'idée de faire réfléchir les plus jeunes, de les faire réagir et de les aider à appréhender le monde. © Michel PIQUEMAL et Thomas BAAS/ Albin Michel jeunesse Alors bien-sûr je me suis ruée sur celui-ci: "Petites et grandes questions philo de Piccolo" de Michel PIQUEMAL et illustré par Thomas BAAS est en fait le recueil de toutes leurs propositions Piccolophilo éditées auparavant: "C'est pas juste!", "C'est à moi!", "Achète-moi la moto rouge!", "C'est quoi la mort?", "Non, c'est pas moi!" et "Mais je suis déjà grand!". © Michel PIQUEMAL et Thomas BAAS/ Albin Michel jeunesse Par le biais d'histoires courtes, très claires et pour les enfants très jeunes (dès 4 ans), des thèmes de philosophie sont abordées tranquillement, l'air de ne pas y toucher. Ne pas faire tout ce que l'on veut, enfant ou adulte, et c'est déjà parler d'autorité, de désir, de besoin, de loi. Parler de la mort, de la possession, du désir et des frustrations. Se confronter aux autres, à l'amitié, à la possession et aux partages. Et des jeux coopératifs ou à deux. Se sentir frustré, être tenté, surconsommer et des indices de manipulations des grands surfaces. Parler de la mort comme un élément de vie avec une mise en perspective de la durée de vie d'animaux. Commencer à se responsabiliser, ne pas mentir et tout ce que le manque de confiance induit, tout ce que le malaise provoque. Grandir comme une étape, ni en avoir peur, ni la devancer. © Michel PIQUEMAL et Thomas BAAS/ Albin Michel jeunesse Une page pour les adultes, enseignants ou parents, suit avec le "petit grain de sel philo". Elle reprend ce qui se passe pour l'enfant, les lois, les règles de la vie. Les thèmes sont alors plus explicités avec les multiples voies de réflexions. © Michel PIQUEMAL et Thomas BAAS/ Albin Michel jeunesse Puis des jeux amènent les enfants à faire l'expérience avec à chaque fois un focus parent pour expliquer les objectifs Les bambins sont ensuite accompagnés et poussés à répondre à des questions et à reformuler peut-être différemment avec "L'atelier en savoir plus" leur étant destiné. Cette dernière partie apporte une ouverture vers la compréhension des notions. J'aime beaucoup les explications sur la consommation ou sur le mensonge (des médias aussi). Je mets toutefois un bémol sur certains chapitres que je trouve un brin péremptoires et assez moralisateurs. Mais le livre a le mérite d'expliciter et d'accompagner beaucoup. Parfait aussi pour entamer des discussions en famille quand ce n'est pas évident. Ce recueil regroupe à prix intéressant une première partie des propositions Piccolophilo, ce serait dommage de ne pas en profiter!
Ce livre est arrivé dans mes étagères pour sa quatrième de couverture mais bien plus pour ce dessin d'un oiseau étrange. "La question de 10 heures du soir" de Kate De GOLDI est bien cela, étrange. Frankie est un garçon de 12 ans. Il vit dans une banlieue de Nouvelle-Zélande. Tous les jours il part à l'école, retrouve son copain Gigs, fait le même parcours. Il est angoissé, hypocondriaque et se réconforte avec des habitudes, quelques petits rituels et surtout la question de 10 heures du soir posée à sa mère dans sa chambre. Un matin, une nouvelle élève arrive, Sydney. Elle n'est pas du tout comme les autres filles. Elle porte des dreadlocks, a un piercing, se couds ses vêtements, fait du cricket mais surtout ne sait pas que les garçons et les filles restent séparés. Elle est spontanée, décomplexée, curieuse et pleine de vie. Elle va être la source et le catalyseur de multiples questions. Ce ne sera plus des angoisses sur les maladies possibles, sur les préparatifs de survie en cas de catastrophe mais une réflexion sur soi et sur la folie. Sydney catapulte les rouages de cette vie. Et comme elle fait la roue dans la rue sans se soucier d'être en jupe, elle court-circuite les liens habituels entre Frankie et sa famille. La maman compréhensive, le père nonchalant, la grande sœur bourrue et agressive, le grand frère fuyant et débrouillard. Parler du tabou de cette mère cloitrée chez elle depuis 9 ans entraine d'autres formes d’échange. Grâce aux discussions avec ses amis Gigs et Sydney, sur leur monde de l'enfance en chiloun, dialecte inventé mélangeant le russe, le verlan et l'argot et l'italien, mais aussi à force de questions abruptes et à travers un projet littéraire d'école que Sydney va écrire et Frankie illustrer, le passage de l'enfance à l'adolescence se fait. Le point de vue se fait plus relatif et compréhensif. Les mères ont ici un impact important, pour ce qu'elles sont et apportent (ou n'apportent pas) et aussi pour leur folie. Deux manières d'être mère se confrontent: une mère ne croit pas en l'école ni au travail, se fait entretenir par les hommes et se sert de sa grande fille comme d'une nounou, l'autre a été trop bouleversée par la vie et ne sort plus de chez elle. L'une est maternante, l'autre non et pourtant toutes deux imposent à leur enfant une responsabilité hors de leur âge. Comment grandit-on avec cette pression? La transformation de Frankie se lit aussi dans ses dessins: des personnages par mimétisme artistique, vers une copie de naturaliste des oiseaux et ensuite à un style et à la création d'une espèce ornithologique... Les goûts russes de sa mère, musique et littérature, sont aussi une trame de fond. Les œuvres russes sont tristes, comme la vie. Est-ce qu'il faut alors envisager une fin tragique ou juste se dire qu'elles sont là que comme un référent? C'était une lecture plaisante mais assez décevante, j'attendais une réflexion plus aboutie sur la psychologie fragile, des mères, de Frankie... Elle reste néanmoins très révélatrice d'un état d'esprit de jeune garçon et de ses relations à sa famille, à ses amis et l'amour comme potentialité.
*source Amruta PATIL Pour connaître les premières pages de "Parva, L'éveil de l'océan" de Amruta PATIL... une approche de l'épopée mythologique Mahabharata. (En ce moment, les légendes indiennes me tentent...)
Nous avions lu et relu le troisième volet avant même d'avoir le second. Je peux enfin continuer à vous parler de Garmann. Tant mieux, cela parle de chaleur humaine, de nature et d'émotions. © Stian HOLE/ Albin Michel Jeunesse Dans "La rue de Garmann", Stian HOLE continue de nous emmener dans l'univers de ce garçon norvégien. Plutôt solitaire, Garmann voudrait terminer un herbier. Les plantes qui lui manquent sont dans le jardin du vieux monsieur, l'ancien postier. Sauf qu'il n'a pas l'air commode celui-ci. Oui mais il y a Roy, ce garçon sûr de lui, qui sait faire du vélo sans les mains et a les faveurs des jumelles. Et puis Roy est méchant et quand il vous prend à partie pour montrer votre courage, de peur, vous êtes capable de ne plus être vigilant. Et voilà, le feu a pris dans le jardin de l'Homme aux Timbres. Et celui-ci sort furieux de chez lui. © Stian HOLE/ Albin Michel Jeunesse Qu'est-ce que le courage? ""La vie n'est jamais sûre. C'est seulement quand on a très peur qu'on peut être courageux", a dit papa à Garmann. Sans doute, mais qui peut être courageux quand Roy bloque la porte de la grille?" Il y a ce manque de courage face au plus fort mais aussi le courage de ses actes, le courage d'être là. Avec Stian HOLE, ce sont toujours des partages. Ici aussi entre générations, de petits riens, le nom des plantes, des chiffres qui en disent plus long. L'histoire se déroule à travers Garmann, avec de ces détails qui obnubilent un enfant, comme la goutte au nez. Ce sont aussi des petits riens d'atmosphère qui donne une idée d'une ville, d'un quartier mais aussi d'une nature à ne pas laisser de côté. © Stian HOLE/ Albin Michel Jeunesse Et puis nous retrouvons là un style graphique très particulier: des dessins comme des photographies, des prises de vue incroyables comme des contre-plongées, des déformations de visages pour aller à l'essentiel de l'émotion.
"Un peu plus loin encore, Persée aperçut une jeune femme enchaînée à une falaise surplombant la mer. Elle se nommait Andromède et allait être sacrifiée à un monstre marin afin d'apaiser la colère de Poséidon. Persée n'hésita pas une seconde et, grâce à l'épée d'Athéna, tua le monstre. Cela fait, il déposa la tête de Méduse sur des algues tandis qu'il lavait dans l'eau le sang souillant ses mains. Celui-ci colora les algues cependant que le regard du monstre les pétrifiait. Persée, sans le savoir, venait de donner naissance aux premiers coraux." (extrait du "Bestiaire de l'Olympe" d'Anne JONAS et illustré par Nancy PENA, Milan Jeunesse, dont je parle là)
"Le nez" d'Olivier DOUZOU est une histoire de fous. Une histoire de nez bouchés, pile d’actualité par les temps qui courent, non?! © Olivier DOUZOU/ Memo Nez se réveille un matin et, bouché, il décide de prendre l'air. Il rencontre un bouton qui se prenait pour un nez et ensemble vont trouver le grand mouchoir pour les désencombrer. Dans leur voyage, ils rencontrent d'autres nez, trompe, groin, bec, nez de clown, de tamanoir, de Pinocchio. Ils chercheront des astuces pour se moucher ou éternuer. Nez nous raconte son périple mais les mots sont déformés ce qui va amener la troupe à de nombreux quiproquos. "Guand on z'est abbrochés on s'est rendu gompte gue z'était des mouses de baches. Za debait sendir bauvais y'abait des bouches." © Olivier DOUZOU/ Memo En dehors de cet effet de style et de l'histoire qui pourrait être simple, la lecture est désopilante. Elle demande de l'attention pour bien prendre le coup du nez bouché. Les jeux de mots sont savoureux et les illustrations apportent la réalité aussi surréaliste que le récit.
Acheté il y a pourtant longtemps, je m'attendais à un livre rêche, je tardais encore et encore. Et non. Kashmira SHETH s'inspire de sa grande-tante pour décrire son héroïne dans "Un sari couleur de boue" et le résultat est un bel hommage à cette jeune fille et à toute l'Inde qui change. Leela a 13 ans. Elle aime les saris colorés, les fêtes, les amies, les gourmandises et les bracelets. Sa vie est réglée depuis longtemps, fiancée, mariée, elle va bientôt vivre son anu, cérémonie qui l'emportera dans sa belle-famille auprès de son jeune époux Ramanlal. Elle est gâtée par la vie, chouchoutée par ses parents, elle a été à l'école jusque là. Et puis même sa belle-mère semble lui vouloir du bien, même son mari, qu'elle n'a pas encore le droit de connaître ni de regarder dans les yeux, semble l'apprécier. Et puis, son jeune époux meurt de la morsure d'un serpent. Son monde s'écroule. Plus de feu aux joues ou d'impression dans le ventre pour ce jeune homme. Un grand chagrin. Et la fin de la vie. Elle ne sera plus qu'une veuve, une widhwa, sans le droit de se remarier, sans le droit de prendre position dans la société, sans le droit de se vêtir à nouveau comme une femme. Plus de magnifiques saris, bijoux de poignets, d'oreilles, de doigts de pieds, de nez. Plus de maquillage au khôl sur la tempe pour prévenir le mauvais œil ou de rouge sur le front pour marquer son état. Elle ne portera que des chidri (sari couleur de boue réservé aux veuves dans l’État du Gujarat), se rasera la tête. Pendant un an, Leela ne pourra ni sortir de chez elle, ni accompagner sa famille dans les tâches quotidiennes, ni participer à aucune fête. Elle vivra la mise au coin, c'est à ce khuno palvo de deuil que l'auteure choisit de nous convier. La fin de l'enfance, de l'adolescence prend ici le goût du manque. Leela décrit toutes ces choses qui apportent la joie, l'enthousiasme dans cette Inde du début du siècle. Les couleurs, odeurs, chaleurs et vents, les plats, fêtes, discussions de village. Il y a aussi le poids des coutumes, elle est devenue pour certains une raand. Une non-personne voire une à fuir, à mépriser, à dénigrer. Le poids des traditions est lourd et cette année va dérouler toutes les nuances de cet état et permettre de micro-changements. Leela, perdue, anéantie, va pourtant trouver un autre chemin en reprenant l'école à la maison, avec cette enseignante aux idées progressistes. Elle est soutenue par un grand frère parti en ville. Elle qui se morfond va prendre la plume pour écrire sur les bruits du monde écoutés de son coin, comme un devoir de classe. Elle lira le journal et l'intellectuel Narmad. Jour après jour, ses sens s'éveillent, son esprit aussi. Lentement, doucement, elle change. De petite fille choyée, elle devient en attente. De couleurs, de touchers de sari. Puis de discussions, d'apprentissages, de lectures et de débats. Brahmane (classe la plus haute), elle se prend d'amitié avec une rabari de basse caste. De thés en thés, elle apprend que l'écriture, la lecture et les mathématiques ne sont pas les seuls apprentissages nécessaires. L'actualité comprise, la littérature essayiste abordée, elle devient un esprit critique. Gandhi(ji) réveille l'Inde dans ses rapports à la colonisation et à l'agriculture. Leela y lit aussi toute une ouverture sur l'égalité des sexes, une prise de position possible pour chacun dans le monde. "- Veux-tu du thé? lui demandé-je en avançant vers elle. - Ho've, bien-sûr! crie-t-elle. - Allons à la maison alors. J'attrape son coussin et son ouvrage et la laisse prendre sa tasse. Elle reste assise sur le seuil de la cuisine en attendant qe je prépare le thé. - Leelabon, qu'est-ce que tu lis toute la journée? Je lui tends mon livre. [...] Le thé est prêt, elle me tend sa tasse et je la sers. Je bois le mien dans une tasse en argentan, assise à côté d'elle. Elle souffle sur son thé avant d'en boire une petite gorgée. - Il est bon. De son autre main, elle tourne les pages du livre. - C'est la légende de Rama et Sita? - Non. - Alors de quoi ça parle? Nous [les rabari] ne savons pas lire, mais nos anciens nous racontent beaucoup d'histoires sur Rama et Sita, sur le combat de Rama contre Ravana. Ils nous parlent aussi de Krishna, qui volait du beurre et qui a anéanti le méchant roi Kansa. Nous écoutons tellement d'histoires que, si on devait les écrire dans le ciel, elles le rempliraient entièrement, il n'y aurait plus de place pour les étoiles. - Il y a d'autres histoires que tu ne connais pas. - Alors raconte-m'en une de ce livre. Il n'y a pas d'histoires dans ce livre. C'est juste un texte. - Mais si ça ne raconte pas une histoire, de quoi ça parle?" ... ou l'art de lire comme une ouverture sur le monde!
... la neige ne tient pas mais les flocons sont présents... juste avant de changer de saison et de vous présenter "Eliott et Nestor, l'heure du matin" de Mélanie RUTTEN *extrait de "Öko, un thé en hiver" dont je vous parlais là. Mélanie RUTTEN
Pourquoi donc parler d'un livre que nous ne pouvons plus trouver (sauf en occasion) à cause de la fermeture de sa maison d'édition. Être n'est plus. Parce que certains livres abordent des thèmes d'une manière sensible et osée. Et en espérant que ce titre sera repris par une autre maison d'édition... © Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être "Venise n'est pas trop loin" de Christian BRUEL, illustré par Anne BOZELLEC et avec les photographies d'Anne GALLAND nous embarque dans un voyage, un séjour que s'offrent une mère et sa fille. Des retrouvailles entre les deux, elles ont laissé les hommes, père et frère, elles déambulent avec une sorte de rituel, entre complicité et liberté, et savourent ensemble ou seule les charmes de la ville. © Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être Venise est magnifiée, ses quartiers (Cannaregio), ses musées (avec les œuvres de Giorgione ou de Carpaccio), le café italien, les restaurants, ses vaporetto (i?), ses odeurs (de lait caillé dans les escaliers de l'immeuble), "le duvet d'algues peigné, cette pierre grenue sous la paume, le bleu d'une barque qui n'en finit pas de mettre un mur à vif." © Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être La mère et la fille investissent la ville. Des emploi du temps programmés, ensemble, puis des espaces libres. Et cette année, la fille a plus de liberté, les frontières de son univers de découvertes s'est agrandit. Sa mère lui fait confiance, c'est une grande maintenant 13 ans, bientôt 15! (voir extrait) Et cette fois-ci, l'enfant veut retrouver ces rassemblements secrets. Elle est attiré par le jeu. Pourtant elle est intelligente, pourtant elle sent le danger. Mais c'est plus fort qu'elle, le jeu des adultes est si tentant, elle est si proche de cet âge. © Christian BRUEL, Anne GALLAND et Anne BOZELLEC/ Être Et elle perd, elle a réussi à décaler l'heure du gage. Elle a cherché mais ce qu'elle risque de trouver l'épouvante. Mais rien ne peut lui arriver, elle est si spéciale, elle lui parlera. "Faire l'innocente. Ne rien comprendre. Elle reviendra demain. Juré! Il sourit comme un loup." Cet album offre les premiers pas de la perte d’innocence, la prise de risque. C'est aussi la marque des premiers émois, des premières peurs de ce que peuvent envisager les adultes. Pourtant sa mère, aussi, profite de ce temps hors du temps à Venise. Les rencontres, les partages, les émotions. Les illustrations d'Anne BOZELLEC et les photographies d'Anne GALLAND apportent ce sublime mêlé avec le mystère et le trouble. L’architecture de Venise est superbe: d'alignement de maisons, de bord de lagune, de devantures colorées. Puis cette enfant, souvent en noir et blanc, fille enfant mais aussi espiègle, ses errements en ville et ses crayonnés au café. Les individus sont eux soit des ombres soit très colorés, indéfinis ou une photo sans flou. C'est beau, juste. Elle a pris le temps de grandir cette enfant et le livre est un beau prétexte à la vie. Et puis Venise n'est pas trop loin...
Alors comment dire? Cet exemplaire était dans la vitrine, le seul exemplaire de la librairie jeunesse. Comment dire, je ne l'ai même pas feuilleté... et pourtant cela devient une de mes priorités pour ne plus trop accumuler les livres, pour ne choisir que des coups de cœur, je vais même jusqu'à lire l'album jeunesse entier dans les rayonnages. © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Je l'ai sorti de sa présentation de verre et l'ai payé en espérant... et voilà, j'ai reçu... : par son "Pas de ciel sans oiseaux", Rémi COURGEON m'atteint encore une fois... Il s'agit de bricolage, mieux de mécanique. Augustin est un vieil homme extrêmement serviable, se rendant disponible pour tous les bricolages de son village. Il aime faire plaisir. Il répare tout, en artisan, en artiste. Victor, un enfant, frappe à sa porte et lui présente la dépouille d'un oiseau en lui demandant de le réparer... Réparer un service de cristal avant un mariage, oui, mais là, réparer un rouge-gorge: "- Quand Victor reviendra, je lui expliquerai que tout ne se répare pas, que la vie s'arrête et tout ça..." © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Et pourtant, Augustin se prend au jeu et le cœur de l'oiseau se remet à battre. Rêve ? Réalité ? Qu'importe... Le lendemain, le ciel est silencieux, pas d'oiseau, plus d'oiseau. Depuis quand? Augustin se remémore les oiseaux d'hier et se met au travail. A chaque nouvel emplumé, il grave ses initiales sur l'une des pattes. Il est maintenant trop occupé pour se livrer à d'autres réparations... il créée des oiseaux. Après 5 ans, Augustin et Victor se retrouvent, l'enfant n'a rien oublié, le vieillard lui montre son secret. Et les voilà tous les deux repeuplant le ciel de ces oiseaux disparus. © Rémi COURGEON / Mango jeunesse Il y a de la magie dans ce livre. D'une part, bien-sûr dans le propos avec ces créateurs de vie, parce que les oiseaux ne sont pas mécaniques mais bien de chair, de sang et de plumes, tout à fait comestibles pour un chat. D'autre part, parce qu'entre les lignes, il est question de cette nature autour de nous... ce ciel avec ces oiseaux, cette mer avec ces poissons etc... Bien-sûr, aussi, il est question du cycle de la vie...
Nous avons les trois feuilletons "commis" par Murielle SZAC (et avec quel bonheur reçus). Et après avoir lu le premier tout en lui donnant aussi une dimension scolaire, nous avons dévoré le second sans y ajouter quoique ce soit (ou presque). Ce fut donc une lecture orale, offerte par les parents au petit d'homme et quelques fois en sens inverse. © Murielle SZAC et Rémi SAILLARD/ Bayard jeunesse "Le feuilleton de Thésée" de Mureille SZAC et illustré par Rémi SAILLARD est plus facile d'accès que celui d'Hermès. Les épisodes mettent en scène des héros mieux connus ainsi que des défis identifiables rapidement: Thésée et le minotaure, Dédale et Icare, Héraclès et ses 12 travaux, Œdipe et le Sphinx, les jeux olympiques. Thésée est un tout jeune garçon, né d'une union entre une princesse, Aethra, et un roi, à moins que cela soit Poséidon qui en soit le père. Il bénéficie de la pédagogie et des conseils de son précepteur, Connidas et découvre grâce à lui comment devenir un homme aux valeurs morales et aux aptitudes physiques. Mais Thésée est admiratif de son grand cousin de Héraclès. Envieux de cette force de la nature, demi-dieu puisque fils de Zeus, Thésée souhaite suivre ses exploits. Il découvre aussi la rage, la folie qu'Héra lui a insufflé et les meurtres que ce grand héros commet autour de lui. Les douze travaux se succèdent mais s'accompagnent aussi des violences d'Héraclès, mort de sa famille sous l'emprise de la déesse des déesses mais aussi de ses méprises aussi irrévocables, par exemple la mort des centaures, ennemis comme amis. Connidas met en garde Thésée. Il va devenir un jeune homme, puissant, courageux et peut-être violent. Encore faut-il qu'il soit responsable de ses actes. Et effectivement, après le mystère de sa naissance, Thésée veut lui aussi ses exploits et peu à peu va à la rencontre de son père, le roi d’Athènes, Égée. Il souhaite être digne de la couronne et se portera volontaire pour suivre les jeunes hommes et femmes envoyés pour être sacrifiés dans le labyrinthe en Crète, tuera le Minotaure, emportera Ariane tout en ne la ramenant pas avec lui et fera mourir de douleur son père. © Murielle SZAC et Rémi SAILLARD/ Bayard jeunesse Oui, mais Thésée est devenu roi et cette partie-là du livre est aussi importante. Il érige la convention grecque d'être un bon hôte à celle d'accueillir tous les laissés pour compte. Il change le mode de gouvernement pour une démocratie. Il devra tout de même subir les conséquences de ses actes, gérer les liens avec le roi Minos ou sa descendance, accueillir Œdipe et Antigone tout en donnant une complète liberté à cette dernière. Et puis Thésée devient amoureux, prends femme et se perd... jusqu'à devenir aussi monstrueux que son cousin Héraclès. © Murielle SZAC et Rémi SAILLARD/ Bayard jeunesse "Le feuilleton de Thésée" nous parle de la fougue de la jeunesse, éblouie par la force et l’héroïsme. Elle parle aussi des actes insensés, violents, fous et la responsabilité que peut avoir l'homme même manipulé par les dieux. Le livre parle de rédemption aussi, ou presque. De la sagesse d'un individu pris dans les feux de l'amour et dans la douleur de la perte. Tout le long, nous pouvons comparer Héraclès et Thésée, le dernier grandit avec sagesse et pourtant.Il deviendra un autre, un mauvais père, un homme de parole mais aux actes intolérables... jusqu'à reprendre ses esprits. Et nous saurons comment Héraclès finit. Autant à la naissance du monde et des dieux, thème du "Feuilleton d'Hermès", les focus sur les autres intervenants ou les flashbacks dépendaient des pouvoirs de ses nourrices, ici ce sont les oracles qui donnent le la. Thésée est ainsi témoin inactif de la vie d'Oedipe par exemple. Les femmes ont aussi un rôle plus complexe avec par exemple le très beau portrait d'Antigone. © Murielle SZAC et Rémi SAILLARD/ Bayard jeunesse L'auteure ne déçoit pas. Le propos est complexe, la thématique mythologique, évidemment puits sans fond de délices et de péripéties, offre son lot de cruauté, de sang, de peur, de dégoût ou de passages fantastiques avec des créatures fabuleuses. Mais les réflexions amenées par les constants dialogues entre Thésée et son maitre ou son ami Iolaos sont de très belles ouvertures à la réflexion. Le vocabulaire est riche, les épisodes addictifs. Le jeu d'appel du prochain est haletant et c'est avec énormément de plaisir que nous suivons, non plus un dieu joyeux et hyperactif Hermès, mais un jeune homme à l'éducation parfaite en prise avec la vie, le pouvoir et les émotions. Murielle SZAC a travaillé avec un autre illustrateur, Rémi SAILLARD. Le résultat est toujours entre l'abstrait, le symbolique et le figuratif. Les doubles pages évoquent les défis sans jamais totalement les illustrer. Il y a aussi un soupçon de surréalisme, un peu DE CHERICO quelques fois. Les petits dessins ponctuant le texte apportent eux une respiration. C'est bon, très bon!
Cela fait longtemps qu'il est dans la bibliothèque, je n'avais pas osé le lire pendant longtemps, j'avais même lu le roman suivant de Fabienne JUHEL, "Les homme sirènes", avant. Et puis "A l'angle du renard" m'a fait de l'oeil, et en le voyant orné d'une nouvelle couverture dans les librairies (sortie poche), je me suis précipitée dessus. Et je n'ai rien écrit, un brouillon, juste un brouillon. Et puis je l'ai relu. Et comme à chaque fois avec cette auteure, je suis là, tenue, conquise. Nous ne nous aventurons pas dans son univers sans y laisser des plumes. Arsène Le Rigoleur est un fermier, vieux garçon, terrien et sauvage. Il regarde ses nouveaux voisins arriver. A la place du vieux Morvan, une petite famille, le père, la mère et leurs deux enfants, Louis rouquin et solitaire, Juliette, la petite dernière de 5 ans. La môme va traverser la rue et accompagner le fermier dans toutes ses activités de "soin" aux bêtes. Arsène décrit alors cet apprivoisement, entre lui le "tonton" et ce "feu-follet" de 5 ans. Le grand frère est toujours dans les parages, il est curieux et protecteur. A moins qu'il ai envie lui aussi d'avoir un ami. Et Arsène aimerait tant l'amadouer aussi. Et puis il y a cette mère, qui sent bon la violette et qui dans les yeux a ses éclats de roux qu'elle n'a pas dans les cheveux: éclats d'animalité, de ruse, de pertinence. Parce que oui, Monsieur Le Rigoleur n'a pas la tête de son patronyme et on ne sait jamais, il n'est peut-être pas du tout fréquentable. Et effectivement, Fabienne JUHEL nous offre l'âme d'un tueur. Un ogre enfant, en prise avec ce que sont le sauvage, la peur, la frustration. Un enfant qui se venge, un adulte qui ne supporte pas ceux détroussant l'enfance. Une dévergondée moqueuse, un loup aux myrtilles ou une faiseuse d'anges, laveuse de corps sans vie. Arsène est un tueur en série mais est-ce que l'innocence prend un risque avec lui? Il magnifie pourtant l'enfance, les émotions si souvent niées, occultées, ces silences, ces dessins, ces rires. Oui mais il y a aussi l'autre enfant, oublié. Qui lui parle? Qui joue avec lui? Cet ogre moderne rend la pareil aux contes ancestraux. Ce n'est pas un loup pour le chaperon rouge mais bien un renard, parmi les autres. Un renard avec le museau plein de cette terre bretonne. Un animal sauvage, amadoué plus qu'apprivoisé, n'en déplaise au Petit Prince. Un renard qui se prend les pattes dans la plus pur des beautés, l'enfance, et qui pourtant est déjà pris au piège. Les couvertures apportent une ligne... un invisible renard pris dans les phares d'une voiture... une enfant insouciante, libre, spontanée pas encore attrapée par l'ogre. Mirontaine en parle très bien là.
La collection "Les Encyclopédies" de Milan offre des documentaires très complets. "Les religions" m'avait emballée. Avec "La grande aventure de l'évolution" de Jean-Baptiste De PANAFIEU et illustré par Jean-Pierre JOBLIN, le sujet de l'évolution est rajeuni. © Jean-Baptiste De PANAFIEU et Jean-Pierre JOBLIN/ Milan jeunesse * non, mais de quoi je me mêle petit chat! Oui il est question de Darwin et de la naissance de la vie sur terre, des ancêtres de l'homme. Mais le parti-pris est aussi de nous montrer des exemples contemporains des éléments de l'évolution. En cela, le documentaire est très très bien fait. Treize chapitres emmènent sans prétention le lecteur dans des notions de biologie comme la mutation, l'évolution, les familles et espèces, selon le milieu, l'isolation, les interactions et les ancêtres. © Jean-Baptiste De PANAFIEU et Jean-Pierre JOBLIN/ Milan jeunesse Seront présentés les restes de l'évolution humaine (par exemple sa pilosité à chair de poule), les mutations (transformations d'une générations à l'autre), toutes les voies de l'évolution animale ou végétale, les familles et aussi une idée d'évolution permanente. L'importance des interactions entre prédateurs et proies, parasites et hôtes, alliés aussi (comme les ciliés, bactéries favorables à la digestion des ruminants ou les pollinisateurs pour les végétaux). Les multiples chemins de l'évolution pour un comportement final similaire (nage grâce aux nageoires ou propulseurs) ou ustensiles à venins par une évolution d'organes différents (aiguillon des abeilles de l'organe de ponte, dents des serpents des organes salivaires, ergots de l’ornithorynque des glandes sudoripares). Des poches de marsupiaux ou des dents de sabre même à d'autres que les tigres. © Jean-Baptiste De PANAFIEU et Jean-Pierre JOBLIN/ Milan jeunesse Un parallèle possible entre le dauphin et le requin, un aileron cartilagineux contre un repli de peau mais encore : "L'adaptation au milieu marin a abouti à des résultats similaires par des voies distinctes. Ce mécanisme est appelé "convergence" par les biologistes. En effet, les espèces ont convergé vers une même forme à partir d'ancêtres différents: des poissons pour les requins, des mammifères quadrupèdes terrestres pour les dauphins et de gros reptiles terrestres pour les ichtyosaures." Des traces presque disparues, comme les pattes des serpents, les yeux sur la face supérieure de certains poissons comme la limande, la plie, le nombre de pattes, d'ailes ou de vertèbres). Des outils multifonctions comme les nageoires, les ailes et l'importance de la kératine ou de la chitine. Sans oublier la part de sélection naturelle ou artificielle (reproduction, camouflage, danger ou résistance, domestication). © Jean-Baptiste De PANAFIEU et Jean-Pierre JOBLIN/ Milan jeunesse Les chapitres sont très illustrés avec quelques fois des schémas explicatifs et proposent des cas par cas très explicites pour chaque indication. C'est complet, ludique et prouve que le sujet est immense.
Pourquoi avoir attendu autant de temps pour découvrir cette collection. Pourtant j'aime beaucoup ce que propose Oscar BRENIFIER. Je pensais à tort avoir affaire là à une bande dessinée facile. Bon, j'avais aimé sa collection Philozidées, par exemple "La question de dieu", une version simplifiée d'un thème. Mais mon coup de cœur allait vraiment à ses débats guidés de la collection Philozenfants: par exemple "Vivre ensemble c'est quoi" dont je parlais là. Et Ninon dans tout ça! Et bien j'adore! © Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse "L'amour selon Ninon" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Delphine PERRET est un album très complet. Ninon semble être amoureuse et grâce à ses proches, toutes ses questions auront des réponses. Le livre peut se lire comme une histoire, du début à la fin, une sorte de pièce de théâtre en bande dessinée. Bien-sûr peu d'actions mais de nombreuses réflexions et petites humeurs d'enfant. Il peut aussi se lire chapitre par chapitre. Chacun offrant une ligne de réflexion. Cela passe du sentiment amoureux, de l'affection plus poussée qu'une amitié ou une sympathie aux gens, mais aussi la jalousie, le respect, le bonheur d'autrui, le besoin d'être aimé, la passion, l'acte sexuel etc... © Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse L'album fait la part belle aussi aux références culturelles sur l'amour: mythologie avec Narcisse ou les androgynes, la bible et le jugement de Salomon, "Dom juan" ou "Roméo et Juliette". Bien-sûr l'interaction n'est pas aussi naturelle que lors d'une séance de réflexion philosophique orale. Bien-sûr l'histoire amène les réponses peut-être même avant que l'enfant se pose les questions. Mais cette histoire est très bien faite car les interventions sont multiples. Ninon se pose des questions enfantines (mais pas que), les parents répondent sur les sentiments, la maîtresse sur la beauté de l'amour empirique, le voisin sur les références et le cochon, animal de compagnie, permet à Ninon de digérer avec des réflexions d'enfant ce qu'elle a découvert. Et puis la réflexion est un apport de petites touches, une à la fois: des phrases courtes, claires, des reprises pour expliciter. © Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse Je dois dire aussi que la clarté des illustrations de Delphine PERRET aide beaucoup. Les personnages détourés au feutre fin, les couleurs juste sur les vêtements et la séparation bien précise des vignettes (même sans pourtour) et des prises de parole allège. Son cochon est aussi sympathique à souhait. © Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse L'album est ainsi très lisible et se lit, se relit et s'approprie facilement à partir de 8 ans. Parfait!
Souvent je trouve les livres de toute petite enfance bien mièvres. Heureusement Kitty CROWTHER en a proposé qui ont fait mon ravissement et celui de mon fils. 2 ans, 3 ans: oui, oui, même avant. Même dans ce cas, ses livres sont fins, sensibles et ouvrent tellement de portes. « Le bain d’Elias » est un livre cartonné sur le bain… « 1.2.3 je prends mon bain… 4.5.6 maman m’essuie », rien de plus simple et pourtant… le grain de folie est là, une pirouette de la vie que seuls nos petits diablotins savent faire… (indice) sans compter un doudou grenouille comme Jérémie la grenouille de « Scritch Scratch Dip Clapote ! »… *source Alors Et « Alors ? » alors ? J’ai hésité à le prendre celui-là, comme le bain, le trouvant plus simple. Et en fait, il n’en ai rien. Une salle de jeu avec ballon, coffre à jouets, cube de construction, livre et table où prendre le thé (ou le café salé…clin d’œil à « Mon ami Jim »). Un premier personnage rentre, déguisé, animal ou humain, peu importe. Il s’installe et va être suivi de nombreux autres personnages, doudous, animaux de compagnie ou jouets… tous en attente d’un événement fort. L’illustration est encore magnifique, très réaliste et pourtant très fantastique. J’aime énormément ses stylisations, ses détails, le choix des objets, des personnages, de l’histoire jamais si simple. La part de rêve est conservé, les mystères non résolus et pourtant identifiable. L’histoire se poursuit même sans le héros. Cela ne vous dérange pas de connaître le mystère, alors vous avez un billet très complet ici. Vous n’êtes pas convaincus, regardez donc la vidéo sur le site des éditions L’école des loisirs… ici en recherchant entretiens vidéo avec les auteurs, Kitty CROWTHER… alors ?